Synthèse de l’atelier 9

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1er avril 2016 – Université Polytechnique de Valencia

ATELIER 9 : GESTION DES RESSOURCES NATURELLES PAR LES PEUPLES. PEUPLES INDIGÈNES. BIENS COMMUNS.

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BILAN

Les recherches et les témoignages directs des participants amènent à constater combien la situation des peuples autochtones/indigènes1 et des communautés rurales en général (paysannes, forestières, pastorales, de pêcheurs) est dramatique sur l’ensemble de la planète. 2,5 milliards de personnes, membres de peuples dits indigènes/autochtones et ruraux en général, vivent sur des terres qu’elles partagent et utilisent en commun. Pourtant, un cinquième seulement de ces terres est enregistré au titre de territoires communautaires par les gouvernements nationaux. Dans la très grande majorité des cas, les ruraux ne disposent pas de protection effective par l’État de leurs droits communautaires sur les terres qu’ils occupent pourtant depuis des siècles. Il leur est donc très difficile de préserver ces dernières et leurs ressources naturelles des processus d’accaparement. Le manque de sécurisation de la tenure foncière collective laisse le champ libre pour que l’État, considérant souvent qu’elles lui appartiennent, concède ces espaces à des entreprises étrangères ou nationales.

L’ensemble des témoignages rapportés par les représentants de communautés présents dans cet atelier atteste de la mise en péril de peuples entiers aux quatre coins de la planète : Afars d’Ethiopie, Mapuches du Chili, Peuls du Niger, Peuples des forêts (« Pygmées ») de République Démocratique du Congo, pêcheurs artisanaux du Sénégal, communautés forestières du Guatemala, du Honduras, du Panama, du Mexique et du Cambodge, Amazighs du Maroc, Qoms d’Argentine, Mayas Quechis du Guatemala, communautés paysannes malgaches, etc. Au Niger, le gouvernement ne reconnaît pas l’importance économique du pastoralisme et livre les terres de pâturages à des personnes issues de l’ « élite » nationale ou locale (entrepreneurs, politiques…) ou à des entreprises étrangères aux détriments des nombreuses populations pastorales (majoritairement Peuls) pour lesquelles les dispositions du cadre national en faveur de leurs droits d’accès aux terres sont rarement appliquées. En Éthiopie, les éleveurs semi-nomades Afars sont victimes de l’accaparement de leurs meilleures terres de pâturages au profit de grandes entreprises agro-exportatrices à qui l’État éthiopien offre un accès quasi gratuit. Comme souvent, l’accaparement des terres s’accompagne de l’accaparement des autres ressources naturelles. Dans le cas de la région Afar, la construction de barrages sur le fleuve Awash pour l’irrigation des plantations de canne à sucre et la floriculture de ces entreprises prive les Afars et leur bétail d’accès à l’eau. Sans eau ni pâturages, le bétail est décimé et la population Afar, appauvrie, est au bord de la famine. Au Cambodge, l’État attribue à des compagnies privées des concessions pour une durée de 99 ans sur les terres de nombreuses communautés locales dont il ne reconnaît pas les droits ; dans la plupart des cas, ces entreprises développent des cultures destinées à l’exportation (manioc et canne à sucre essentiellement) destructrices de l’environnement local : pollution des eaux et des sols, déforestation pour l’agrandissement des parcelles…

Une grave répression s’abat sur les populations autochtones/indigènes et rurales qui essayent de s’opposer à l’accaparement de leurs ressources. De nombreux cas documentés de harcèlements, d’emprisonnements et d’assassinats ont été rapportés par les participants.

L’accaparement des terres met à mal la diversité des formes de vie humaine. L’existence de nombreux peuples est indissociable de leur lien à leur environnement naturel, celui-ci constituant le substrat de leur vie et de leur culture, étant la principale source de leur alimentation, leur « pharmacie », et le support des mythologies au fondement de leur rapport original au monde. Partout, l’accaparement et la destruction des terres éradiquent des cultures basées sur une conception de l’Homme comme partie intégrante de la nature, exprimée par un membre de communauté de la façon suivante : « Nous ne sommes pas les propriétaires de la nature mais nous sommes la nature elle-même ». De nombreuses analyses démontrent que les peuples autochtones/indigènes et communautés rurales sont à même de garantir une gestion durable des ressources naturelles du fait de l’importance qu’elles revêtent pour eux en tant que communs, tout à la fois sur les plans économique, écologique, social, symbolique, spirituel et culturel. Leur apport pour préserver les ressources naturelles, biens communs de l’humanité, doit être pleinement reconnu. Cela signifie d’abord qu’ils puissent être pleinement décideurs des usages de leurs territoires, dans le respect des droits humains fondamentaux.

PROPOSITIONS

Pour que ne disparaissent pas les peuples indigènes et ruraux, il est indispensable qu’ils obtiennent une place prépondérante dans les processus de décision politique qui les touchent, eux et leurs territoires. Leur droit d’exister et de décider eux-mêmes de leur présent et de leur avenir, dans l’intérêt du bien de l’humanité, doit être reconnu et respecté aux différentes échelles (locale, nationale et internationale).

Pour obtenir la pleine reconnaissance politique et juridique de leur existence en tant que communautés et leurs pouvoirs collectifs territoriaux, les participants ont appelé à :

– construire des alliances fortes entre les peuples à travers la mise en place de réseaux nationaux et mondiaux.

Pour renforcer les capacités des peuples à déployer leurs modes d’organisation et de décision communautaires et à se faire respecter, ces alliances doivent :

– favoriser les échanges entre communautés,

– renforcer les démarches visant à dénoncer les cas d’accaparements ainsi que la répression et criminalisation dont font l’objet les peuples qui luttent pour la défense de leur vie et de la nature, et à revendiquer leur respect et protection,

– favoriser l’accès des peuples à des outils, des techniques et des formations appropriés, en adéquation avec leurs besoins pour revendiquer et faire valoir le respect de leurs modes de fonctionnement collectifs en faveur du bien de l’humanité. Elles doivent notamment leur permettre de s’emparer des outils cartographiques pour appuyer les revendications de protection des terres, et des outils d’analyse pour renforcer la démonstration de leurs vertus économiques, écologiques, sociales et culturelles,

– œuvrer pour une prise de conscience universelle de la dimension de « biens communs de l’humanité » de la terre, des semences, des forêts et de l’eau, pour en fixer les règles communes d’usage et d’accès et valoriser les modalités communautaires locales qui les préservent,

- créer une caisse mondiale de soutien à leurs luttes pour la terre et le territoire.


Ces alliances doivent concourir à faire progresser le droit et les cadres politiques : 

– obtenir la ratification par les gouvernements de la Convention 169 de l’Organisation International du Travail relative aux droits des Peuples Indigènes et Tribaux et la mise en place d’instruments juridiques véritablement contraignants pour les gouvernements et les entreprises pour garantir son application effective,

– obtenir la mise en chantier d’une instance internationale indépendante qui agisse comme garante des droits des générations futures,

– obtenir que soit donné en droit et dans les faits une valeur prépondérante à la volonté des communautés concernant leur présent et leur avenir (notamment concernant les projets d’utilisation des ressources naturelles de leur territoire), ce qui passe en particulier par la représentation démocratique des peuples indigènes/autochtones et des communautés rurales dans les instances de décision supra-communautaires (locales et nationales),

– faire reconnaître la pluralité des formes possibles de sécurisation de la tenure de la terre au-delà de la propriété individuelle exclusive.

Une alliance forte en faveur des intérêts des peuples indigènes et autochtones et des communautés rurales en général doit se faire entendre notamment lors de deux forums internationaux à venir : la 22ème Conférence des Parties de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (7-18 novembre 2016, Marrakech, Maroc) et celle des Parties de la Convention sur la Biodiversité (4-17 décembre 2016, Cancun, Mexique).


INTERVENTIONS

La liste suivante n’est pas exhaustive. Nous nous excusons auprès des intervenants lors de cet atelier et des participants qui n’y trouvent pas leur nom, et vous invitons à vous manifester, à l’adresse suivante, pour nous permettre d’éditer une nouvelle version de cette synthèse avec la liste complète : secretariat@landaccessforum.org

Interventions introductives :

ABARCHI, Harouna, Responsable du département Pastoralisme de l’Association pour la Redynamisation de l’Élevage au Niger (AREN), Niger

DIAZ, Felix, Qarash (Chef) de la communauté Potae Napocna Navogoh, peuple Qom, et représentant de QOPIWINI, organisation commune des peuples Qom, Pilaga, Wichi et Nivaclé, Argentine

GONGORA, Luis, Alliance nationale des Organisations Forestières du Guatemala, Biosfera Maya et Association des Communautés Forestières du Petén (ACOFOP), Guatemala

MAMALO, Abdoul Karim, Ancien Secrétaire Permanent du Code Rural du Niger

MBENGUE, Moussa, Secrétaire Général de l’Association pour le Développement de la Pêche Artisanale en Afrique de l’Ouest (ADEPA), Sénégal

OEUR, Il, Directeur executif, Centre d’Analyse des Questions de Développement (ADIC), Cambodge

SAMPHORS, Doung, Directrice exécutive déléguée, Star Kampuchea, Cambodge

YAYO ABA’AMI, Sanava, éleveur, Ramidus Afardacarsitoh Egla, Ethiopie

Interventions de participants :

BINYUKI NYOTA, Espérance, Coordinatrice de l’Union pour l’émancipation de la Femme Autochtone (UEFA), République Démocratique du Congo

CABALLERO, José Serapio, Cooperative Flores Nuevas, Fédération des Producteurs Agroforestiers du Honduras (FEPROAH), Honduras

CABALLERO, Santos, Président du Conseil Coordinateur des Organisations Paysannes du Honduras (COCOCH), Honduras

DOGIRAMA, Edilberto, Président du Congrès Général Embera Wounan, Panama

ESQUINAS, José Alcazar, ex-agent FAO, Espagne

FRU NGANG, Francis, Secrétaire Général de Institut Africain pour le développement Économique et Social, INADES Formation, Côte d’Ivoire

MACZ, Maria Josefa, Coordinatrice Nationale Déléguée du Comité de l’Unité Paysanne du Guatemala (CUC), Guatemala

MERLET, Michel, Directeur de l’Association pour l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), France

NAÏT SID, Kamira, Présidente du Conseil Mondial Amazigh (CMA), Association Peuples des Montagnes du Monde (APMM), Algérie

PRAK, Neth, porte parole de l’Association du Peuple Indigène Bunong (BIPA), Cambodge

SANCHEZ, Gustavo, Président du Réseau Mexicain des Organisations Paysannes et Forestières (Red MOCAF), Mexique

SANCHEZ, Ruben, avocat, Observatoire Citoyen, Chili

TAYLOR, Michael, Directeur de l’Alliance International pour la Terre (ILC), Bostwana

TZI, Ernesto, Association pro bien-être en action (APROBA-SANK), Guatemala

YAYO BARULI, Alo, éleveur, Ramidus Afardacarsitoh Egla, Ethiopie

Modératrice :

RAKOTONDRAINIBE Mamy, Présidente du Collectif TANY pour la défense des terres malgaches, France

Rapporteur :

LAZOS Elena, Professeur, Université Nationale Autonome de Mexico (UNAM), Mexique

1 Les participants ont précisé que les terminologies « peuples originaires », « peuples indigènes » ou « peuples autochtones » peuvent avoir des significations politiques différentes selon les pays, et qu’il convient donc d’être vigilant sur les termes employés. Le terme « indigène » est par exemple très peu utilisé en Afrique, contrairement à ce qu’il en est en Amérique Latine.