Synthèse de l’atelier 12

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2 avril 2016 – Université Polytechnique de Valencia

ATELIER 12 : POLITIQUES FISCALES, RÉGULATIONS DES MARCHÉS FONCIERS ET DE LA TAILLE DES UNITÉS DE PRODUCTION

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BILAN

Le premier constat issu de cet atelier est que, partout dans le monde, on observe une forte expansion des inégalités dans la distribution du foncier, avec une concentration croissante des terres dans les mains d’un nombre réduit d’acteurs.

Ce phénomène de concentration du foncier entraîne nécessairement l’exclusion et la marginalisation des petites unités de production et de leurs travailleurs. On a à faire de plus en plus à un modèle agricole bipolaire, qui voit s’opposer dans une lutte déséquilibrée l’agriculture familiale à l’agriculture à grande échelle.

Force est de constater que de nombreux processus de réforme agraire qui avaient eut lieu dans les années 1970, en Amérique Latine notamment, ont échoué. En effet, dans la majorité des cas, au Chili et au Pérou en particulier, on observe que le latifundisme est parvenu à se ré-imposer en l’espace de quelques décennies après la mise en œuvre des réformes agraires. Le développement du néo-libéralisme a joué un rôle central dans cette re-concentration systématique de la terre. Par exemple, les injonctions des institutions financières internationales pour créer un « climat favorable aux investissements » ont conduit divers gouvernements nationaux à mettre en place des politiques très avantageuses pour les investisseurs (exonérations d’impôts, facilités de création d’entreprise, garantie des profits…), encourageant notamment l’arrivée de grandes entreprises de l’agro-business auxquelles est proposé un accès, parfois quasi gratuit, à de grandes extensions de terre.

Dans la grande majorité des pays, le modèle productif des agro-holdings, aussi favorisé par les traités de libre-échange en vigueur, tend à se généraliser au détriment des agricultures paysannes et familiales. L’analyse de la répartition des droits fonciers va de pair avec celle des formes d’utilisation des ressources naturelles. Les phénomènes actuels de concentration des terres sont indissociables de la généralisation du modèle agricole de la grande exploitation spécialisée.

A la lumière d’un retour sur l’histoire agraire mondiale, il est possible d’affirmer que la concentration de la terre génère systématiquement la paupérisation des paysans et que la crise du secteur rural entraîne généralement avec elle les économies nationales vers la ruine.

On observe aujourd’hui l’apparition de nouveaux détenteurs de droits fonciers (de propriété ou d’usages : baux emphytéotiques ou de plus brève durée), à savoir des entreprises sociétaires qui, souvent, viennent d’autres pays que ceux dans lesquels elles s’installent et parfois de secteurs étrangers à l’agriculture. Durant les trois dernières décennies, le nombre d’entreprises agricoles sociétaires a très fortement augmenté. Aujourd’hui, les grands latifundistes ne sont plus des individus mais des entreprises. Ce phénomène est à mettre en rapport avec l’ouverture aux investissements étrangers. Des capitaux venant des quatre coins du monde peuvent être investis dans l’agriculture d’un pays pour créer de nouvelles entreprises ou acquérir les parts d’exploitations agricoles sociétaires existantes. Ces acquisitions et la concentration par un même actionnaire des parts de sociétés multiples remettent en cause la sécurité et la souveraineté alimentaire.

La financiarisation de l’agriculture jette un voile sur ceux qui ont le pouvoir réel de choisir les usages de la terre et en retirent les bénéfices. Lorsqu’il en existe, les outils de régulation des usages du foncier sont dépassés. En France par exemple, les Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural (SAFER) ne disposent pas du pouvoir de contrôler les ventes de parts sociales.

L’ensemble des participants a conclu que l’idée du marché « autorégulateur », pivot de l’économie classique, est une fiction dans le domaine du foncier. Une distribution équitable des droits de propriété ou d’usage au sein de la société, qui permette la mise en œuvre d’activités garantissant de bonnes conditions de vie à la majorité des individus et familles, ne peut pas s’établir spontanément.

Si la plupart des participants a exprimé la nécessité de mettre en place une régulation effective des marchés fonciers et des parts sociales d’entreprises agricoles, d’autres ont affirmé que la terre ne peut être considérée comme une marchandise puisqu’elle est une ressource fondamentale pour toute vie humaine et qu’elle doit, à ce titre, échapper aux mécanismes de marché, que celui-ci soit régulé ou non.

PROPOSITIONS

Reconnaître l’importance de l’agriculture familiale dans chacun de nos pays et identifier les problèmes spécifiques qu’elle doit affronter pour leur donner des réponses appropriées :

Accompagner les politiques de redistribution de la terre par d’autres politiques publiques, permettant aux producteurs de s’établir durablement et leur garantissant de bonnes conditions de vie. Certains participants appellent à une « réforme agraire intégrale » incluant, avec la redistribution des terres, des mesures claires de soutien à un modèle agricole paysan de petite échelle : mesures de soutien à l’agro-écologie, développement des marchés paysans et autres circuits courts de commercialisation, aides aux installations, etc.

Promouvoir la restitution de la terre aux peuples indigènes/autochtones de chaque pays et agir pour qu’ils récupèrent leurs terres volées durant la colonisation,

Plafonner les subventions agricoles, en Europe notamment, pour contribuer à freiner la spéculation sur la terre et à réduire la multiplication de grandes exploitations dont le fonctionnement n’est pas conforme aux intérêts des populations dans leur ensemble.

Mettre en place une régulation effective des marchés fonciers :

Utiliser les politiques fiscales pour réguler le marché des terres et pour limiter la taille des exploitations agricoles.

Mettre en place des mécanismes de régulation des transferts de parts sociales pour pouvoir réguler efficacement l’évolution des structures des exploitations agricoles.

Rechercher une meilleure articulation entre les différents cadres qui régulent le foncier, nationaux et supranationaux. Certains participants avancent qu’il serait indispensable de mettre en place des régulations aussi au niveau mondial.

Nouer des alliances avec différents secteurs de la société :

Poursuivre et multiplier les efforts vers l’instauration d’une connexion solide entre les consommateurs urbains et l’agriculture.

Tenter de rallier une fraction des politiques au pouvoir aujourd’hui à la « cause paysanne », en les convainquant que la défense de l’agriculture familiale est essentielle pour l’équilibre de la société toute entière.

Rejoindre et agir aux côtés des mouvements sociaux agraires. Construire un mouvement social fort porteur de propositions.

– Poursuivre les réflexions et les discussions autour des questions suivantes :

  • Comment avoir une influence sur les gouvernements et les politiques publiques ?
  • Quels types de réformes agraires devrions nous impulser dans nos pays ?
  • Quel devrait être le rôle des États dans ces réformes agraires ?
  • Qu’entendons-nous vraiment quand nous parlons d’agriculture familiale ?
  • La terre peut-elle être considérée comme une marchandise ou non ?

INTERVENTIONS

La liste suivante n’est pas exhaustive. Nous nous excusons auprès des intervenants lors de cet atelier et des participants qui n’y trouvent pas leur nom, et vous invitons à vous manifester, à l’adresse suivante, pour nous permettre d’éditer une nouvelle version de cette synthèse avec la liste complète : secretariat@landaccessforum.org

Interventions introductives :

EGUREN, Fernando, Directeur, Centre Péruvien d’Études Sociales (CEPES), Pérou Director,

GONZALEZ CORRALES, Pablo Conseiller, Syndicat Andalou des Travailleurs (SAT), Espagne

HYEST, Emmanuel, Président de la Fédération Nationale des Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural (FNSAFER), France,

LEVESQUE Robert, Ingénieur Agronome, Terres d’Europe Scafr, France

MAZOYER, Marcel, Professeur Emérite, AgroParisTech, France,

SOMBOLINGGI, Rukka (Aliansi Masyarakat Adat Nusantara – Alliance des Peuples Indigènes de l’Archipel, AMAN, Indonésie,

Interventions des participants :

BUISSON, Michel, Agronome, Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC), France

LOYAT, Jacques, Agronome, Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC), France

MACZ, Maria Josefa, Coordinatrice Nationale Déléguée du Comité de l’Unité Paysanne du Guatemala (CUC), Guatemala,

MUNTING, Monique, Chercheur et réalisatrice de documentaires, AGTER, SCAM, Amnesty International, COTA, Belgique

ROUX, Bernard, Académie d’agriculture de France

SUAREZ, Victor, Association Nationale des Entreprises de Commercialisation des Producteurs ruraux (ANEC), Mexique

VAN TSCHARNER, Severine, Greenhorns, Etats-Unis

Modérateurs :

ARNALTE Eladio, Professeur, Université Polytechnique de Valencia, Espagne

Rapporteur :

ROBLES, Hector, Coordinateur exécutif du site internet « Subventions dans le secteur rural au Mexique » (Subsidios al Campo), Mexique